L'humour et la comédie : un médicament sous-estimé.
- juliensabi93
- 7 sept.
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Ce qui ressort de mes articles ainsi que de mes ouvrages est, je pense, mon goût pour les sujets difficiles ainsi qu'un aspect émotionnel particulièrement chargé. La tristesse, la colère, ou encore l'amour, l'amitié, la passion exaltée... il y a toutefois une émotion que j'aborde relativement peu à l'écrit tandis que je l'affectionne considérablement dans la vie, une émotion capable de soigner les blessures de l'âme sans aucun effet secondaire, une émotion qui nous rassemble, malgré nos différences que ce monde beaucoup trop sérieux ne cesse de nous rappeler, une émotion qui apporte spontanément son flux de couleurs printanières sublimant un tableau parfois grisâtre et acre ; je parle bien évidemment du rire. Face à la désespérance qui nous submerge en certains égards lorsque nous observons l'absurdité que l'on appelle "le monde des Hommes" ; face à nos souffrances, nos regrets, nos propres tragédies, l'humour, la comédie et le rire nous élèvent et nous offrent la délicieuse sensation de se sentir pleinement vivant.
Cependant, dans une époque aussi complexe, emplie d'ambivalences, de communautarisme et de puritanisme de façade, il n'a rarement été aussi délicat de faire rire qu'aujourd'hui. De plus, il est de coutume d'observer le mépris et la condescendance que reçoivent les comédiens vis-à-vis du milieu artistique et culturel, les considérant comme des clowns sans consistance, sans intérêt véritable, faisant pis de l'immense travail à fournir pour être en mesure de faire rire une audience, et les bienfaits que cela procure. Dans cet article, je veux, humblement, mettre à l'honneur l'humour, les talents qui le font vivre à travers les époques et malgré les obstacles, et enfin, ériger la comédie ainsi que le rire à la place qu'ils méritent.
RIRE DU TRAGIQUE. EXERCICE PERILLEUX ET MAGISTRAL A LA FOIS.
Nous connaissons tous la célèbre question maintes fois répétées et éternelle source de débats : "pouvons-nous rire de tout ?"
La question se pose d'autant plus dans notre époque actuelle où les sensibilités individuelles et évolutions sociétales, lorsqu'elles se mêlent au brouhaha incessant des réseaux sociaux, rendent la tâche ardue. Les humoristes, s'ils souhaitent faire carrière et atteindre le plus grand nombre sans polémiques ni scandales, doivent montrer patte blanche, ne rire que d'eux-mêmes et utiliser des sujets faciles qui ne créeront aucun remous. Ce qui explique le ressenti général que l'on observe à travers l'humour actuel en France, notamment, où les humoristes de scène, bien que talentueux pour certains, ne parviennent à marquer les esprits et à faire l'unanimité, et où les comédies populaires au cinéma, autrefois tranchantes, libres et d'une drôlerie sans limite, se sont transformées en de vulgaires soupes prévisibles et insipides (hormis quelques exceptions). Ce que l'on reproche à l'humour, aujourd'hui, est ce qui fait sa force, à savoir rire du tragique, rire des injustices, rire de l'absurde que notre conditionnement a normalisé, rire de notre médiocrité, rire de soi, certes, mais aussi des autres. Bien sûr que l'humour est une arme, il peut devenir un outil de combat, de militantisme politique, peut blesser, peut nuire. Mais à trop vouloir l'aseptiser, il en devient insignifiant, et prive les gens d'une émotion qui s'avère excellente pour notre santé, tant physique que mentale. En riant du tragique, lorsque cela est fait avec soin et un certain talent, nous sommes aptes à le relativiser, à prendre davantage de distance avec ce qui, de prime abord, nous déprime, nous insurge, nous plonge insidieusement dans les abîmes. Le premier exemple qui me vient à l'esprit à ce sujet vient de l'autre côté du Pacifique, à savoir Charlie Chaplin.
A travers son humour burlesque, très visuel, gaguesque et loufoque, ce génie du cinéma passait des messages, mettait en lumière ce que nous refusions de voir, à savoir nos failles, nos drames, nos lots de souffrances parfois profondes, tel un effet miroir que la comédie n'autorisait que peu. L'on se reconnaissait parfois à travers ses personnages, dans leur touchante fragilité, et l'on se prenait à le suivre dans sa vision d'un monde injuste, inégal et empli de non-sens. Le tout sublimé par une poésie esthétique époustouflante pour son époque, des jeux d'acteur précis, expressifs et justes, sans oublier la musique, portant le tout avec grâce. Lorsque l'on regarde "Les temps modernes" ou "Le Dictateur", par exemple, nous n'assistons pas à de simples comédies. Nous assistons à l'expression magnifiée de la vie sous ses multiples visages.
En France, il y avait (entre autres) Coluche, bien sûr, mais aussi la troupe des Inconnus, ou encore Le Splendide. Le premier riait du drame social, de la bêtise, de la médiocrité, de la politique, sous une forme clownesque, populaire, parfois un brin vulgaire (du moins pour l'époque), cachant une grande sensibilité et une intelligence rare. Pour les seconds, comment les résumer... à mes yeux, ils symbolisent à eux-seuls la liberté humoristique, parfois consciente et marqueur de leur temps, d'autres fois délirante au possible, singeant tout ce qui méritait d'être singé, sans aucune concession. Concernant les troisièmes cités, le meilleur exemple à ce sujet est le film "Le Père Noël est une ordure". Un classique que je vous invite à voir et/ou à revoir.
Si l'on aborde l'humour tragique et transgressif, il serait malhonnête de ne pas aborder le cas de Dieudonné, qui, sans conteste, a été l'un des humoristes de scène les plus talentueux de sa génération, qui savait rire de tout, transgresser, oser, quitte à choquer, et aller trop loin, beaucoup trop loin, jusqu'à devenir un pariah et un militant politique qui, à titre personnel, ne m'intéresse aucunement (libre à chacun d'en penser autrement). Il faut toutefois reconnaitre que certains de ses sketchs et de ces anciens spectacles sont de véritables leçons quant à ce que l'humour noir et débridé peut offrir.
L'HUMOUR COMME REMPARE CONTRE LA DEPRESSION.
Pierre Richard avait raconté avoir été particulièrement touché par l'histoire d'un enfant triste, solitaire, qui ne riait plus, ne jouait plus, ne ressentait plus aucun goût pour la vie, et qui, devant le film "Le Jouet" (un des meilleurs du comédien cité, selon moi), a de nouveau affiché un large sourire sur son visage et s'est remis à rire pour la première fois. Oui, l'humour et le rire peuvent éloigner une âme blessée du précipice. Rire, c'est ressentir et exprimer une émotion forte, qui nous prend et nous absorbe, jusqu'à ne plus la contrôler (ce que l'on appelle "fou rire"), qui nous pousse à glousser, nous esclaffer bruyamment, laisser glisser des larmes heureuses le long de nos joues, nous tordre l'estomac et nous essouffler. Lorsqu'au contraire la tristesse enferme et éteint, progressivement, pouvant mener à la déprime, qui nous efface tout intérêt, toute sensation de joie pour les choses de la vie, ce qui amène parfois à la dépression, un état où l'on ne parvient plus à se projeter à travers le temps ainsi que notre propre existence, où le vide nous empare, où chaque mouvement est un combat, où notre état d'esprit jongle sans cesse entre l'extrêmement bas à l'extrême euphorie avant de chuter brutalement jusqu'à l'effet inverse ; rire, pleinement, à gorges déployées, nous apporte réconfort, chaleur et une soudaine appétence pour la vie. Comme l'Art, le Beau, soigne à sa manière, en nous dévoilant le charme et la pureté que ce monde et l'existence, de manière générale, peuvent aussi contenir ; le rire est un autre médicament. Pas moins efficace, tout aussi addictif.
Lorsque Jim Carrey est en roue-libre totale devant les regards circonspects des autres autour qui incarnent le sérieux, le raisonnable et le monde des adultes, l'enfant en moi s'exalte. Lorsque Steve Carrell se montre gênant au possible et lâche des énormités avec le plus grand sérieux dans son rôle de Michael Scott au sein de la série The Office, je me régale. Ils symbolisent à mes yeux la liberté, l'insouciance et cette capacité qui, selon moi, est un luxe, de parvenir à prendre suffisamment de hauteur sur les maux de notre monde ainsi que les drames qui peuvent nous traverser, pour finalement en rire et ainsi dompter le Mal avec la meilleure arme qui soi.
N'ayons pas peur de rire.
Merci aux comédiens libres et talentueux. Vous êtes essentiels.
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